Pierre Loti, entre discours orientaliste et pratiques de collection

Conférence par Ekin AKALIN, expert des arts de l’Islam auprès de la Fédération nationale des experts d’art, chercheuse associée au centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatique (CETOBaC - CNRS, EHESS et Collège de France). Pierre Loti (Julien Viaud) est une figure marquante de l’orientalisme littéraire de la fin du 19e siècle. Officier de marine et écrivain, il a construit une œuvre nourrie de ses nombreux voyages, notamment au sein des territoires de l’Empire ottoman, en Afrique du Nord, en Asie et en Océanie. Son écriture, empreinte d’un imaginaire fantasiste, a rencontré un large succès, comme en témoigne son élection à l’Académie française en 1891. Cependant, son œuvre a reçu des critiques dans le cadre des études postcoloniales, notamment par Edward Saïd, en raison des représentations qu’elle véhicule sur l’Orient et ses populations. Au-delà de ses récits, Loti a constitué une importante collection d’objets relevant des arts de l’Islam, rassemblée au fil de ses missions et de ses séjours à l’étranger. Cette collection, aujourd’hui conservée dans sa maison à Rochefort – propriété publique depuis 1973 –, comprend environ 360 pièces. Elle couvre un vaste champ géographique, de l’Andalousie à l’Inde, en passant par le Maghreb, les Balkans et l’Empire ottoman, et s’inscrit principalement dans une période allant du 17e au début du 20e siècle. Elle réunit des objets d’origines sociales diverses, allant d’artefacts de la culture matérielle populaire à des pièces issues de contextes aristocratiques ou palatiaux. La réouverture au public de la Maison Pierre Loti en mai 2025, après une longue période de restauration, offre l’occasion de revenir sur cette collection encore peu étudiée dans son ensemble. Une première campagne d’inventaire menée en 2016 a permis d’en affiner la connaissance et de mieux situer les objets dans leurs contextes historiques et géographiques. Cette conférence propose une analyse croisée de la collection et de l’œuvre littéraire de Loti, dans une perspective à la fois historique, matérielle et muséologique. L’un des enjeux de cette recherche est d’interroger la collection non seulement comme ensemble d’objets, mais aussi comme construction culturelle, en lien avec les pratiques de mise en scène que l’on peut qualifier “d’orientalisme performatif”. Certaines pièces ont été conservés de maniere intact par l’auteur, tandis que d’autres, notamment des textiles, ont été modifiées ou recomposées à des fins esthétiques ou narratives. Ce traitement différencié permet d’ouvrir une réflexion sur les logiques d’appropriation, sur les usages des objets, ainsi que sur les processus de patrimonialisation à l’œuvre au tournant du XXe siècle. Cette présentation s’organisera autour de trois axes : une contextualisation littéraire de l’orientalisme chez Pierre Loti, une description synthétique de sa collection des arts de l’Islam (typologies, provenances, caractéristiques matérielles), et enfin une analyse des modalités de sélection, de modification et d’exposition des objets par l’auteur. L’étude mettra en lumière la façon dont cette collection reflète une vision de l’Orient articulée entre fascination esthétique, subjectivité personnelle et construction culturelle. Elle contribuera également à une réflexion plus large sur les relations entre pratiques de collection, circulation des objets, et constitution du patrimoine extra-européen en Europe.